Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le Billet du Tour de France (suite)

Publié le par Un Pays de la Chambre

Les légendes du compagnonnage (2/2)

La légende d’Hiram

Le temple de Jérusalem

Les récits légendaires, fabuleux ou ésotériques sur le thème de la construction du Temple de Jérusalem sont anciens. Dès après la destruction du Temple par Titus en 70, la mystique juive a magnifié la construction mythique. Au moyen-âge, elle est souvent citée.

Justinien Ier, l’empereur byzantin a atteint son but : construire un édifice surpassant en splendeur le temple de Salomon à Jérusalem. Le 26 décembre 537, jour de la dédicace de Sainte-Sophie, la basilique de Constantinople dédiée à la Sagesse de Dieu)

Justinien s’écrie : « Je t'ai vaincu, Salomon ! »

Cet exemple dit combien la construction du premier temple a marqué durablement les esprits de tous ceux qui de loin ou de près s’engageaient dans l’acte de bâtir.

Héritier des ruines de Rome, l’occident chrétien, favorisait ces fantasmes, ils ont enrichis l’imaginaire des peuples encore bercées par les mythologies païennes, auxquelles étaient venues s’agréger les histoires saintes juive et chrétienne et l’inconnu musulman.

Jérusalem ! Le mot sonnait clair, il était convoité, espéré, la terre sainte ! La quête mystique de tout ce qui comptait alors, s’achevait à Jérusalem. Elle était la cité idéale, l’Éden de la condition humaine sur terre. Chaque période, a revêtu à la mode de son temps l’histoire de la construction du Temple de Jérusalem.

Le texte ici proposé n’est qu’un extrait de la Légende d’Hiram qui en d’autres lieux (en Franc-maçonnerie) va de découvertes en rebondissements successifs, et occupe un long temps d’étude.

Puisqu’il s’agit d’un extrait de cette légende, autorisons-nous à une lecture partielle pour dire le danger que représentent les appropriations de traditions qui ne sont pas les nôtres.

Ce texte caractéristique du XIXe siècle, dit que des ouvriers, sous la conduite et aux ordres d'un maître prestigieux, à la culture et aux connaissances universelles, ont édifié pour un encore plus grand et plus prestigieux personnage, une œuvre remarquable de beauté et d'harmonie.

Le récit ne dit pas qui sont ces ouvriers, sinon qu'ils sont divisés en trois groupes, ceux qui œuvrent la pierre, ceux qui œuvrent le bois et ceux, qui œuvrent les métaux. Pour ces milliers d'ouvriers : c'est l'anonymat : ils ne sont pas au centre de la légende.

Le texte reprend et dit que ces ouvriers, obéissaient au doigt et à l'œil, « … le maître fait un signe, cette armée se disperse, elle se retire frémissante, mais obéissante à l'intelligence qui la domine et qui la dompte… » Ces milliers d'ouvriers, domptés comme des bêtes sauvages, ne représentent qu’une force de travail, que des bras pour travailler et des yeux pour obéir.

La légende poursuit par la qualification des trois compagnons : envieux, lâches et traîtres puis : ignorants, hypocrites et ambitieux.

Est-ce qu’un compagnon qui conteste et revendique une augmentation de salaire : « … les trois mauvais Compagnons qui voulaient la paie des maîtres… » est par définition un mauvais Compagnon, envieux, lâche, traître, ignorant, hypocrite et ambitieux ? Est-ce un défaut d’être ambitieux ? Être bon compagnon, signifie-t-il pour les rédacteurs de cette version, rester à la place attribuée par les Maîtres ?

En poursuivant, un subversif de la légende dit :

« … il y a trop longtemps que vous me retenez dans les rangs inférieurs, je veux de l'avancement… »

Hiram répond :

« … Travaille et lorsque tu auras terminé ton temps, je me ferai un devoir de te présenter au conseil… »

L'avancement, est lié au temps plutôt qu’au talent. Qui fixe ce temps, à quoi est-il utile ?

Ce commentaire est tout autant partiel que l’est son récit, auquel manque l’essentiel. Parce que quand même, une légende c’est fait pour éduquer, instruire, pour aboutir à un exemple à suivre, à une morale. Bien sûr toujours au bénéfice de celui qui la rédige, mais elle peut aussi lui échapper, et devenir une autre chose.

Alors, que sous entend-elle dans cet extrait, est-ce le comportement inacceptable de l’ouvrier ?

Est-ce qu’en choisissant ces passages -parce que ce sont des passages choisis, les fondateurs de l’Union Compagnonnique voulaient exprimer un ressentiment contenu ? Les ont-ils choisis ces passages pour les exprimer masqués derrière une rituellie et une symbolique auxquels les seuls adeptes avaient accès ?

Non ! Pas les fondateurs de l’Union Compagnonnique. L’Union a été le plus généreux des compagnonnages de son temps, il a intégré des ouvriers, des hommes de métiers qui ne pouvaient accéder jusqu’à lors au compagnonnage.

La Légende d’Hiram n’est pas compagnonale. Dans la tradition maçonnique, elle conduit à d’autres démarches philosophiques et spirituelles, qui ne sont à aucun moment, abordées dans le compagnonnage. Compagnonnage qui de tous temps a défendu les compagnons, pour le droit d'association, la liberté de circulation, l'instruction professionnelle, la liberté du travail. Ils étaient organisés en une seule catégorie qui ne comptait que des ouvriers.

Alors comment, ces ouvriers devenus compagnons, auraient créé un collège des maîtres, fantasmer et créer une légende au contenu et au dénouement qui leur était fatal ?

On comprend que cette version, amputée de ce qui fait son essentiel, est tout simplement contradictoire aux intérêts des compagnons. Pour employer une formulation moderne, le compagnonnage est le résultat d'une réaction ouvrière contre le patronat ; dès son origine, il s’est opposé au rapt opéré sur les communautés de métiers par les maîtrises et des jurandes.

Dans la tradition maçonnique, parce qu’il s’agit bien d’une légende traditionnelle maçonnique, l’impétrant est identifié à l’Hiram assassiné. Hiram y meurt ? Non ! Il revit dans le nouveau maître-maçon qui lui est substitué, Hiram n’y meurt jamais, il continue à vivre dans tous les maîtres-maçons. L’initiation maçonnique est toute contenue dans cette substitution, la chaîne maçonnique ne s’interrompt jamais, il y a toujours un maître pour prendre l’office d’un autre maître ; les travaux se poursuivent, l’œuvre n’est pas abandonnée, l’œuvre ne sera jamais achevée, mais elle se poursuivra.

Pour connaître la légende d’Hiram il faut être Franc-maçon, un point c’est tout.

Cet extrait choisi de la légende est la manifestation de l'ordre social et moral de la classe dirigeante de la fin du XIXe siècle. Son parti absolu c'est le respect de l'ordre social, de la hiérarchie et l'horreur de la revendication. Il pratique la promotion au mérite, qu’il promet au bon compagnon obéissant, anonyme, qui a de bons bras pour travailler, de bons yeux pour obéir, qui reste à sa place, un avancement au temps passé, et non pas au talent.

Ce thème récurrent qui induit les notions de mérite et de soumission à l’ordre établi, ce n’est pas la légende d’Hiram qui l’a créé.

Jusqu’au XVIIIe siècle, les vieilles légendes médiévales portaient les traditions compagnonales, elles se sont trouvées désuètes, et archaïques. Un nouveau monde s’offrait à tous, le compagnonage était traversé par le siècle.

Quand dès la fin du XVIIIe siècle le compagnonnage a découvert la légende d’Hiram, celle-ci s’est imposée parce qu’elle ne remettait pas en cause les légendes et les traditions antérieures, elle survenait comme une aubaine.

En abandonnant les vieilles légendes trop inspirées du catholicisme pour les goûts postrévolutionnaires, et en leur choisissant Hiram, substitution au Christ dont la Passion avait longtemps inspiré les cérémoniaux compagnonaux, le compagnonage se renouvelait, il préservait l’essentiel de son identité, et conservait des pratiques moins restrictives, mieux en accord avec les idées de son temps.

Il trouvait la légende d’Hiram pensée, écrite, expérimentée par d’autres, en quelque sorte : du prêt-à-porter, du clef en main sans avoir fourni d’effort, et évité des discussions et fâcheries interminables, entre les anciens et les modernes.

La légende d’Hiram fut reprise par des compagnonnages en mal de renouvellement, ils y ont reconnu ce qu’eux-mêmes disaient sur le champ didactique et non pas, sur celui symbolique propre à la franc-maçonnerie.

Parce que le symbolisme, quoiqu’on en dise, au même titre que l’ésotérisme, sont étrangers au compagnonnage. Ici l’anachronisme consiste à prendre un fait historique (la construction du Temple de Jérusalem) porteur de traditions, et d’y plaquer de l’histoire de la classe des hommes de métiers français d’avant la Révolution, d’avant le décret D’Allarde, d’avant la loi Le Chapelier.

C’est notre histoire, celle héritée du XIXe siècle, elle a semé la confusion, elle a façonné l'esprit de nos devanciers.

Ce texte est constitutif de notre réalité, nous perpétuons son évocation lors de séances d’instruction, comme venant de ceux qui nous ont précédés. L'épuration en quelque sujet que ce soit, n'est pas inscrite dans les mœurs des Égalitaires, la recherche d’une « vraie vérité » ou d'une hypothétique « pureté » ne nous anime pas.

Ce Devoir ne rejette pas ce qui l’embarrasserait, ce qui le perturberait ; son objet c’est d'en parler, d'y réfléchir, de traiter la chose telle qu'elle se présente à lui, mais à aucun moment, de l'éliminer.

Tous Unis.

Un Égalitaire de la Chambre

Commenter cet article